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  Reportage TSR Nouvo du 05.10.04
Les goûts de luxe de Nespresso
 
Pour vendre ses très chères capsules, Nespresso s'est positionné comme une marque de luxe. Une mine d'or pour Nestlé mais une image trop haut de gamme pour les 18-35 ans. Du coup, le café chic lance une machine cheap. Objectif: éviter que les jeunes filent chez les nouveaux concurrents bon marché comme la Migros.  Play 
 
 

Moche. Carrée. Utilitaire. Voilà à peu près à quoi ressemble la première Nespresso. Nous sommes en 1988 et cette austère machine de bureau ne déclenche pas beaucoup d'enthousiasme. Nestlé n'y croit pas et veut fermer l'affaire. C'est en tout cas ce qu'on annonce à Jean-Paul Gaillard quand il débarque à la tête de Nespresso. Le nouveau patron demande un an de sursis et un budget marketing de 1.6 millions. Il obtient la moitié et emprunte le reste à l'UBS. «Nespresso était un diamant brut traité de la main gauche par des gens sans vision» diagnostique Jean-Paul Gaillard. Son pari est un peu fou : faire du percolateur à capsules un produit de luxe. «Avec peu de budget, il n'y avait pas le choix, explique Jean-Paul Gaillard, l'entrée la moins chère sur le marché était le luxe. Et puis, c'est un phénomène marketing connu : quand on bouleverse les habitudes avec un produit nouveau, il est plus facile d'arriver sur le marché par le haut de gamme».

Club Nespresso, service téléphonique zélé, magazine papier glacé, sponsoring de milliardaires (Alinghi), slogans huppés (Maintenant vous savez)… Le café chic en fait des tonnes. Il va jusqu'à snober le mot «capsule» pour parler de «grands crus» et de «séries limitées». Dernière trouvaille : 60 boutiques de luxe réparties dans les quartiers chics de grandes capitales. Côté déco, celle de Genève n'a rien à envier à ses voisines Gucci et Armani. Lookés par un tailleur parisien, les «boutique specialists» de Nespresso reçoivent leur clientèle devant la «discovery box» ou au coin dégustation.

Le système fonctionne. Avec son positionnement élitiste, la marque a convaincu le Nespressiste de débourser une petite fortune pour ses grands crus encapsulés. 100 francs par kilo de café. Une vraie mine d'or pour Nestlé, qui préfère taire le montant de ses marges. «Ce sont les marges du luxe, sourit l'ancien directeur Jean-Paul Gaillard, elles sont très confortables, comparables à celles de la cigarette».

Le gros hic du chic, c'est qu'on finit par snober les jeunes. «Nos clients sont aujourd'hui des consommateurs plutôt mûrs en terme d'âge» confirme Roberto Eggs, directeur commercial international. Nespresso veut à tout prix éviter que les 18-35 ans se tournent vers des concurrents meilleur marché comme Migros. Le géant orange vient en effet d'annoncer la sortie pour Noël de son propre système à capsules. Du coup, Nespresso lance sa «Smart», une nouvelle machine compacte, tout en couleurs et surtout bon marché. «Il y avait des barrières en terme de prix pour les consommateurs aux alentours de 25 ans. Le but de ces nouvelles machines est de rendre le produit plus accessible et d'attirer un public plus jeune» explique Roberto Eggs.

Cette cure de jeunisme est jugée sévèrement par l'ancien directeur de Nespresso, aujourd'hui à la tête de Pronuptia International. «Ce grand écart entre le haut et le bas de gamme est une bêtise, tranche Jean-Paul Gaillard, il y a un équilibre subtil à trouver entre le prix de la machine et celui des capsules. Chaque fois que nous avons testé des machines bon marché, les clients trouvaient les capsules trop chères. Le système doit rester crédible». Selon lui, Nestlé a raté le coche. «Il fallait lancer une nouvelle marque avec une machine et des capsules meilleur marché, vendues en grande distribution». Seulement voilà, la grande distribution aujourd'hui, c'est l'affaire de la concurrence. 


Carine Jaggi pour la TSR

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