Les goûts de luxe de Nespresso
Pour vendre ses très
chères capsules, Nespresso s'est positionné comme une marque de luxe. Une
mine d'or pour Nestlé mais une image trop haut de gamme pour les 18-35 ans. Du
coup, le café chic lance une machine cheap. Objectif: éviter que les jeunes
filent chez les nouveaux concurrents bon marché comme la Migros. Play
Moche. Carrée. Utilitaire. Voilà à peu près
à quoi ressemble la première Nespresso. Nous sommes en 1988 et cette austère
machine de bureau ne déclenche pas beaucoup d'enthousiasme. Nestlé n'y croit
pas et veut fermer l'affaire. C'est en tout cas ce qu'on annonce à Jean-Paul
Gaillard quand il débarque à la tête de Nespresso. Le nouveau patron demande
un an de sursis et un budget marketing de 1.6 millions. Il obtient la moitié
et emprunte le reste à l'UBS. «Nespresso était un diamant brut traité de la
main gauche par des gens sans vision» diagnostique Jean-Paul Gaillard. Son
pari est un peu fou : faire du percolateur à capsules un produit de luxe. «Avec
peu de budget, il n'y avait pas le choix, explique Jean-Paul Gaillard, l'entrée
la moins chère sur le marché était le luxe. Et puis, c'est un phénomène
marketing connu : quand on bouleverse les habitudes avec un produit nouveau, il
est plus facile d'arriver sur le marché par le haut de gamme».
Club Nespresso, service téléphonique zélé, magazine papier glacé,
sponsoring de milliardaires (Alinghi), slogans huppés (Maintenant vous
savez)… Le café chic en fait des tonnes. Il va jusqu'à snober le mot «capsule»
pour parler de «grands crus» et de «séries limitées». Dernière
trouvaille : 60 boutiques de luxe réparties dans les quartiers chics de
grandes capitales. Côté déco, celle de Genève n'a rien à envier à ses
voisines Gucci et Armani. Lookés par un tailleur parisien, les «boutique
specialists» de Nespresso reçoivent leur clientèle devant la «discovery box»
ou au coin dégustation.
Le système fonctionne. Avec
son positionnement élitiste, la marque a convaincu le Nespressiste de débourser
une petite fortune pour ses grands crus encapsulés. 100 francs par kilo de café.
Une vraie mine d'or pour Nestlé, qui préfère taire le montant de ses marges.
«Ce sont les marges du luxe, sourit l'ancien directeur Jean-Paul Gaillard,
elles sont très confortables, comparables à celles de la cigarette».
Le gros hic du chic, c'est qu'on finit par snober les jeunes. «Nos clients
sont aujourd'hui des consommateurs plutôt mûrs en terme d'âge» confirme
Roberto Eggs, directeur commercial international. Nespresso veut à tout prix
éviter que les 18-35 ans se tournent vers des concurrents meilleur marché
comme Migros. Le géant orange vient en effet d'annoncer la sortie pour Noël
de son propre système à capsules. Du coup, Nespresso lance sa «Smart», une
nouvelle machine compacte, tout en couleurs et surtout bon marché. «Il y
avait des barrières en terme de prix pour les consommateurs aux alentours de
25 ans. Le but de ces nouvelles machines est de rendre le produit plus
accessible et d'attirer un public plus jeune» explique Roberto Eggs.
Cette cure de jeunisme est jugée sévèrement par l'ancien directeur de
Nespresso, aujourd'hui à la tête de Pronuptia International. «Ce grand écart
entre le haut et le bas de gamme est une bêtise, tranche Jean-Paul Gaillard,
il y a un équilibre subtil à trouver entre le prix de la machine et celui des
capsules. Chaque fois que nous avons testé des machines bon marché, les
clients trouvaient les capsules trop chères. Le système doit rester crédible».
Selon lui, Nestlé a raté le coche. «Il fallait lancer une nouvelle marque
avec une machine et des capsules meilleur marché, vendues en grande
distribution». Seulement voilà, la grande distribution aujourd'hui, c'est
l'affaire de la concurrence.
Carine Jaggi pour la TSR
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