Les antipubs prennent leur marque
Au feu les affiches
taguées. Les antipubs ont décidé de faire la nique à Nike en lançant une
basket éthique appelée «Blackspot». Une anti-marque fabriquée par une
anti-entreprise dans une gentille usine. Sauf que pour la vendre, on fait de la
vraie pub. Play
Pas de logo, pas de bénéfice, pas de
travailleurs exploités. La basket sans marque s'appelle Blackspot
et sera bientôt vendue en Suisse. C'est un pur produit du magazine canadien Adbusters,
référence mondiale des antipubs. Pour faire la nique à Nike, ils passent de
la contestation au business. «Nous sommes las du boycott et des protestations
de gauchistes. Cela n'a mené à rien» explique à Salon.com Kalle Lasn,
fondateur d'Adbusters. Particularité de ces activistes d'un nouveau genre :
ils maîtrisent parfaitement les codes publicitaires. En vrais créatifs, ils
parodient les pubs pour dénoncer la toute-puissance des marques. Et pour faire
passer le message, ils n'hésitent pas à se payer des pleines pages de pub
dans le New York Times.
Blackspot est une basket garantie anti-Nike. Elle arbore en bout de semelle un
point rouge symbolique pour «botter le cul à Phil Knight» (le boss de Nike,
bête noire des Adbusters). C'est que les antipubs s'attaquent toujours aux
cibles les plus visibles. Une sorte de judo-marketing qui consiste à surfer
sur la popularité d'une marque en détournant ses symboles. Pour lancer sa
basket, Adbusters a décidé de créer des annonces ridiculisant le PDG de
Nike. Voici ce qu'on peut y lire : «Phil Knight avait un rêve. Il vendrait
des chaussures. Il vendrait des rêves. Il deviendrait riche. Il exploiterait
des travailleurs s'il avait à le faire. Puis vint une nouvelle chaussure (…)
faite pour une seule chose : botter le cul à Phil.»
Blackspot n'existe qu'en noir mais elle est aussi très verte. Fabriquée en
chanvre organique et cuir végétal, elle est garantie biodégradable. Les
semelles devraient bientôt être faites en pneus recyclés. Chaque paire de
basket est livrée avec un certificat d'actionnaire qui permet à son propriétaire
participer aux futures décisions de la boîte. Car l'anti-entreprise prévoit
déjà un anti-label de musique et des anti-restaurants anti-McDo. Chaque
acheteur peut se connecter au site Blackspotsneaker.org
pour faire valoir ses droits d'actionnaire. Car Kalle Lasn veut ni plus ni
moins «révolutionner le capitalisme».
Ethique jusqu'au bout de la semelle, la Blackspot est fabriquée dans une
gentille usine. Ironie du sort, il aura fallu six longs mois de recherche à
travers le monde pour trouver une usine suffisamment correcte avec ses employés.
Après la Corée du Sud, l'Indonésie, la Chine et la Pologne, Adbusters a
finalement trouvé l'usine de ses rêves au Portugal. Des employés syndiqués,
des salaires au-dessus du RMI et de la musique de fond toute la journée. Mais
avec 5000 exemplaires sortis d'usine à fin octobre, il n'y a pas encore de
quoi talonner Nike.
Certains n'apprécient pas du tout que les leaders antipub se mettent à faire
de la pub pour vendre leur basket, fût-elle anti-Nike. Mais avec ses 300'000
francs de budget marketing, Kalle Lasn jubile. Maintenant qu'il vend un produit
et qu'il paie, les grandes chaînes de télévision américaines ne pourront
plus lui refuser l'antenne. Cela avait été le cas de tous ses spots parodiant
les grandes marques. Et si la Blackspot est un succès commercial, l'argent
sera réinvesti dans des campagnes… antipub.
Carine Jaggi pour la TSR
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