De l’évaporation des dotcoms aux premiers
millionnaires, retour sur le destin des 34 sociétés installées au PSE en été
2000. Quand les start-ups font de la résistance
Par
Carine Jaggi
En poussant la porte du Parc Scientifique d’Ecublens, on
ne trouve plus de Bill Gates en devenir préparant son entrée en bourse.
« Il a bien fallu réaliser qu’on ne serait pas tous millionnaires »,
lâche un des 350 occupants du parc, dont les stock-options ne se sont pas
transformées en or. Après une période de désillusion, le PSE a
aujourd’hui passé le cap. Reste le poids du travail accompli, une détermination
à toute épreuve et une effervescence intacte.
Malgré le ralentissement conjoncturel et l’explosion de
la bulle spéculative, les start-ups du PSE affichent une résistance presque
insolente. Elles étaient 34 en été 2000 pour un total de 203 emplois. Parmi
celles-ci, 28 sont encore en activité et emploient plus de 300 personnes.
« L’éclatement de la bulle spéculative a été amortie car les sociétés
du parc scientifique ont une propriété intellectuelle réelle »,
souligne Jacques Laurent, directeur du PSE.
Les start-flops
En 2000, les pépinières de jeunes pousses sont en vogue.
Craignant l’arrivée de projets concurrents, le PSE construit dans
l’urgence un troisième bâtiment, qui affiche aussitôt complet. « Tout
le monde était prêt à y croire, financiers et clients y compris », se
souvient Jean-Luc Mossier, alors directeur du PSE.
R&ED fait partie de ces dotcoms au destin éphémère,
qui ont envahi le parc en pleine euphorie. Pour lancer son portail internet
destiné aux opticiens, Jean-Christophe Leroy lève 2 millions de francs de
capital-risque, engage une trentaine de personnes, avant d’être lâché par
sa banque et ses investisseurs et de déposer le bilan. « Cela m’a
permis d’accumuler 15 ans d’expérience en 5 ans », explique-t-il.
L’ardoise d’un demi million de francs héritée dans l’aventure est
aujourd’hui effacée. A 29 ans, Jean-Christophe Leroy a créé une nouvelle
société informatique employant 7 personnes.
Autre faillite de taille, celle de Singularis, dont les
investisseurs ont négocié sans succès un rachat de la dernière chance.
« La société est arrivée trop tôt sur le marché de la télévision
interactive et a eu une consommation de trésorerie trop rapide, analyse
Olivier Wellmann, un ancien de Singularis. En tant que Senior Product Manager
chez OpenTV à Paris, il négocie aujourd’hui avec des sociétés qui développent
des produits similaires.
« Plutôt que de lever du capital-risque, nous
aurions dû privilégier un rachat ou un partenariat avec un grand groupe
industriel », estime le fondateur de 2C3D Charles Baur, qui est à
l’origine du système de guidage pour opérations chirurgicales exploité par
la société. Malgré la liquidation de 2C3D, cette technologie prometteuse
continue d’être développée au laboratoire de systèmes robotiques de
l’EPFL, avec des finalisations diverses qui pourraient déboucher sur la création
de nouvelles start-ups.
Sur les 79 entreprises issues du PSE depuis sa création,
six sont tombées en faillite et neuf ont cessé leurs activités. Par
ailleurs, quinze sociétés sont considérées comme des succès, parce
qu’elles ont atteint leur cinquième année avec plus de 15 employés, levé
plus de 10 millions de francs de capital-risque ou été revendues avec profit.
Les start-tops
On assiste aujourd’hui à la mise en marché de produits
qui n’étaient deux ans plus tôt que des innovations brevetées assorties
d’un business plan. Endoart et Smartdata démarrent tous deux la
commercialisation de leurs produits en 2003, des implants médicaux pour le
premier, et pour le second un terminal portable modulaire distribué en
partenariat avec un grand groupe industriel. Belair commence l’an prochain
ses activités de biodépollution sur plusieurs sites industriels romands. Le
logiciel de gestion de portefeuilles d’Oqibo.com est déjà commercialisé
auprès des banques et gérants de fortune. Shockfish a couvert une vingtaine
de grandes manifestations avec son système permettant aux participants de
communiquer entre eux. Quant à Synova, l’entreprise de 26 personnes active
dans l’usinage de matériaux par laser vient de s’installer dans sa
nouvelle usine à deux pas de la pépinière d’Ecublens.
Comme tout parc scientifique qui se respecte, la courte vie
du PSE est aussi jalonnée de success stories bien sonnantes, qui alimentent la
mythologie du millionnaire en « Birkenstocks ». Ainsi Xoliox, une
start-up active dans le domaine de la nanotechnologie, a été rachetée pour 4
millions d’Euros, dont une partie en actions, par la société irlandaise
Ntera. Ou encore Cytion, une biotech qui a été vendue pour 26 millions de
francs à la firme américaine Molecular Devices, un peu plus d’un an après
sa création. Une très belle affaire pour toutes les parties prenantes :
capital-risqueurs, actionnaires privés, fondateurs, employés et même
l’EPFL, qui a eu la bonne idée de céder ses droits de licence contre une
prise de participation. La recette de Cytion ? « Une fenêtre
d’opportunité parfaite. Les pharmas avaient besoin d’une nouvelle
technologie », raconte son ancien CEO Jean-Pierre Rosat, qui a su forcer
les bonnes portes « au bluff » pour promouvoir l’invention de son
associé Christian Schmidt, « un scientifique de génie ».
Visiowave, qui commercialise des applications vidéo sur réseau
informatique dans le domaine de la sécurité et des médias, quittait le PSE
il y a tout juste deux ans. Avec ses 62 employés, la société réalise
aujourd’hui un chiffre d’affaires annuel de plus de 10 millions de francs,
en progression de 300%.
Les entrepreneurs en série
Critère de succès numéro un des start-ups, la présence
à bord de managers qui ont une expérience industrielle ou de création
d’entreprise. En Suisse, ce genre de pointure ne foule pas volontiers le
linoléum des parcs scientifiques. Mais avec l’avènement des premiers
entrepreneurs en série made in EPFL, il y a du changement dans l’air. Ronald
Vuillemin, docteur en microtechnique et ancien CEO de Xitact, s’est installé
au Technopark de Zurich pour créer Novodex, une spin-off de 9 personnes qui
exploite la même technologie que Xitact dans le domaine des jeux vidéo.
« Mon capital-risque, c’est le savoir-faire technique et managérial
que j’ai acquis en démarrant ma première start-up », explique ce
dynamique CEO de 32 ans. Jean-Pierre Rosat, docteur en biochimie et cofondateur
de Cytion, est aujourd’hui à la tête d’une nouvelle biotech, Apoxis, qui
travaille sur le mécanisme de suicide cellulaire. « Dans une grande
entreprise, j’atteint mon niveau d’incompétence » ironise cet
entrepreneur inspiré et fonceur, qui en est à sa cinquième start-up en 6
ans. Quant à François Sugnaux, docteur en chimie et cofondateur de Xoliox, il
planche sur des textiles intelligents dans le cadre de sa troisième start-up.
« C’est à chaque fois une prise de risque éprouvante, explique-t-il,
mais compensée par le plaisir de travailler sur des innovations technologiques ».
Ces serial entrepreneurs combinent tous un solide bagage scientifique, une expérience
industrielle et un parcours sans faute d’éleveur de start-ups.
Plus de 500 emplois créés
Difficile d’attribuer au PSE le succès ou l’échec de
ses start-ups, puisque le parc offre avant tout des services immobiliers et une
assistance au démarrage. La valeur d’un incubateur ne se mesure d’ailleurs
pas à ses millionnaires mais aux retombées pour le contribuable qui finance
la formation et la recherche. En terme de création d’emplois, il faut noter
que 550 personnes travaillent aujourd’hui dans des sociétés issues de la pépinière
d’Ecublens.
Certes le PSE ne détient pas le monopole des projets
innovants. Ses loyers élevés dissuadent certaines start-ups et on lui
reproche de « couver » trop longtemps ses rejetons. Pourtant, avec
ses 55 entreprises, son incubateur et ses prestataires de services, le parc a
atteint aujourd’hui une taille critique qui le positionne comme un véritable
carrefour de l’innovation en Suisse romande. Une position renforcée par un
nouveau locataire de marque, Create, la chaire d’entrepreneurship de l’EPFL
qui est une véritable ruche à entrepreneurs.
L’esprit d’entreprise vient aux chercheurs
Le bureau de transfert de technologie de l’EPFL traite
une soixantaine de nouvelles inventions par année. C’est trois fois plus
qu’il y a 5 ans. « Avant de publier, les chercheurs évaluent si
l’invention est protégeable, ce qui un phénomène nouveau », commente
son responsable Gabriel Clerc. L’esprit d’entreprise existe bel et bien, si
l’on en juge aux 17 start-ups qui se sont installées au PSE en 2002, contre
22 l’année précédente. Les nouvelles stars du lieu s’appellent
Brightrivers, 34 employés et 4 millions de chiffre d’affaires annuel,
SilentOil et ses 22 collaborateurs, ou encore BeamExpress et son système révolutionnaire
de transmission optique de données.
Arrivé en Suisse à la fin des années 90, le vent de la
nouvelle économie aura soufflé suffisamment fort pour amener des changements
durables au niveau des mécanismes de création d’entreprises innovantes.
Prise de conscience au niveau politique, mise en place de programmes
d’encadrement et de financement de start-ups tels que CTI et FIT,
professionnalisation du capital-risque et du transfert de technologie, la bulle
spéculative a ouvert aux chercheurs-entrepreneurs des opportunités qui
n’existaient assurément pas il y a 10 ans. « Cette période euphorique
laisse derrière elle une infrastructure et de nouveaux outils avec lesquels on
peut aujourd’hui construire », note Jordi Montserrat, responsable du
coaching au PSE. Une véritable machine à innover, ralentie par la basse
conjoncture et le manque de financement, mais dont on sous-estime manifestement
les retombées futures.
Parcs scientifiques : Les clés pour l’avenir
1) Attirer des CEO expérimentés
Le management reste le problème numéro un des sociétés
innovantes. « La meilleure valeur ajoutée que le PSE pourrait amener aux
start-ups, c’est d’attirer des entrepreneurs expérimentés »,
soutient Damien Tappy, ancien coach du PSE devenu capital-risqueur. « Il
existe un vrai problème de culture en Suisse. Faire venir des CEO de l’étranger
permettrait de gagner du temps. Il suffit de quelques succès pour créer une
émulation ».
2) Améliorer le transfert de technologie
« Après deux ans, les universités américaines
perdent leur droit sur leurs inventions, ce qui les incite à favoriser la création
de start-ups », explique Xavier Comtesse, directeur adjoint de la
Fondation Avenir Suisse. « En Suisse, les hautes écoles devraient avoir
les moyens de faire plus de prospection dans les laboratoires. N’oublions pas
non plus qui crée de l’innovation. Il manque 2500 postdoctorants en Suisse.
Arrêtons d’exporter nos chercheurs ».
3) Favoriser les idées provenant du marché
« Chercher un marché pour une technologie peut
s’avérer long et risqué. Il faut également faire venir des gens de
l’industrie avec des idées de marché ». Jean-Luc Mossier a quitté
son poste de directeur du PSE pour fonder SilentOil avec Fabio Cesa et son idée
de télégestion des citernes à mazout. « Le marché n’a jamais été
remis en question et les solutions technologiques ont été rapidement développées
en collaboration avec l’EPFL ».
Culture de start-ups au Biopôle
Salle blanche, laboratoires et bureaux, le Biopôle
d’Epalinges est entièrement équipé pour accueillir les start-ups du
secteur biomédical issues du CHUV ou de l’UNIL. Une infrastructure
high-tech, financée par l’Etat de Vaud et les communes de Lausanne et
d’Epalinges. Créé en 2000, le bio-incubateur affiche déjà complet, avec
sept start-ups et une soixantaine d’occupants. Ses 8 ha de terrains sont prêts
à accueillir d’autres biotech. « Il est rassurant de constater que le
modèle que nous avons mis en place est utilisé avec succès outre-Atlantique »,
souligne Philippe Sordet, chef du Service vaudois de l'économie, de retour des
Etats-Unis. Tandis que les Etats américains investissent massivement dans les
bio-incubateurs, le Royaume-Uni préfère dégrever les investissements privés
dans les biotech en démarrage. Quel modèle privilégier ? « C’est
un faux débat, estime l’entrepreneur Jesús Martin-Garcia, l’important est
de trouver la combinaison gagnante pour que les biotech bénéficient des
infrastructures et fonds nécessaires au démarrage de leurs activités avant
que le capital-risque puisse prendre le relais. ». Un projet de
bio-incubateur est également en gestation à Genève.
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