Les Suisses qui font Google
Google, c'est un Club
Med géant pour premiers de classe. Ce sera aussi l'une des plus grosses entrées
en bourse de l'histoire. Rencontre à Silicon Valley avec les Suisses de Google.
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Au pays de Google, le visiteur est accueilli
par une alignée de «Lava lamp», ces luminaires-tubes remplis de grosses
bulles multicolores. C'est le symbole officiel de la société. Plus loin, un
écran affiche en temps réel les recherches traitées par le moteur de
recherche. Visite éclair dans le cerveau de millions d'inconnus : «crise
cardiaque», «Britney Spears», «manga». En tout 300 millions de demandes
par jour.
Le monde merveilleux de Google
Google, c'est une culture à part, exhumée
du bon vieux temps de la bulle internet. Les chercheurs y sont chouchoutés :
repas gratuits préparés par l'ex-chef des Grateful Dead (suivre le pavillon
pirate levé sur le bâtiment de la cafétéria), massages, cabinet médical,
bar à jus de fruits, canapés de travail, lavomat.
Hommes de goo
«Don't be evil» est le slogan des deux
fondateurs, qui se sont très sérieusement assignés la tâche d'œuvrer pour
un monde meilleur. «On est une sorte de parc d'attraction pour informaticiens»
ironise Urs Hölzle, membre de la direction. Le Googleplex, c'est un peu
l'esprit Walt Disney à la sauce informatique et chacun suit le mouvement. A
son bureau, on déploie sa panoplie de coussins, tasses, pin's aux couleurs de
Google. Un employé sur deux porte un polo griffé maison et vit entouré de
ballons géants et de grenouilles en peluche.
L'entrée en bourse du siècle
Aux Etats-Unis, le verbe «googler» est
entré dans le langage courant comme synonyme de chercher. Il pourrait bientôt
rimer avec fortune pour beaucoup d'employés qui seront millionnaires avant l'été.
Car Google est un ovni, une start-up qui a réussi. En six ans, elle est passée
de deux à mille employés. Elle est bénéficiaire depuis 2001 et ses ventes
annuelles frisent le milliard de dollars. Généralement évaluée à 25
milliards de dollars, Google sera la plus grosse entrée en bourse de
l'histoire d'internet. Du coup, les deux fondateurs, Larry Page et Sergey Brin,
âgés de 31 et 30 ans, ont fait leur entrée dans le classement Forbes des
milliardaires, au même rang que l'auteur d'Harry Potter.
Les recettes de Google
La technologie. C'est la force de Google.
Son moteur de recherche retourne tout simplement les meilleurs résultats, en
se basant sur des algorithmes élaborés par les fondateurs alors qu'ils étaient
doctorants en informatique à Stanford, en 1998. Leur idée : plus il y a de
liens vers un site, plus il est jugé populaire et donc classé en tête de
liste.
Les cerveaux. C'est encore à Stanford
que Google les recrute. «Vous cherchez un job cool ? Pas besoin de lettre
d'accompagnement, un CV suffira» dit une petite annonce scotchée sur une
poubelle à la sortie du bâtiment Bill Gates. Ici on croise les mêmes
T-shirts Google. La légende du moteur de recherche est bien vivante et la
quasi-totalité des doctorants sont engagés. Quant à ceux qui filent avec de
bonnes idées en montant leur boîte, ils sont tout simplement rachetés par
Google.
L'innovation. Pour rester numéro un,
Google n'a pas d'autre choix que d'innover sans cesse. Ses dirigeants ont mis
au point une implacable machine à idées. Au Googleplex, les employés
travaillent un jour par semaine sur un projet personnel qu'ils choisissent
totalement librement. L'accessit suprême, c'est d'être publié sur le site de
Google. C'est ce qui est arrivé à Krishna Bharat, l'informaticien qui a mis
au point le service d'actualités Google News dans son «temps libre rémunéré»,
avec deux autres collègues. Un service qui fait désormais partie du quotidien
de millions d'internautes. Chez Google, pas de hiérarchie et un chaos encouragé
par les dirigeants, pour «gagner en rapidité et laisser les gens expérimenter
la technologie» souligne l'ancien vice-président de la recherche Urs Hölzle
(voir interview).
La pub. Google a purement et simplement révolutionné
la publicité online. Considérant la chose comme de la pollution indésirée,
les fondateurs ont banni les bandeaux et pop-ups pour mettre au point un système
de publicité à la fois plus discret et plus efficace. Les annonceurs achètent
aux enchères des liens qui apparaissent en fonction du mot cherché par
l'utilisateur. Tapez «job» et une liste de sites d'emploi apparait à droite
des résultats.
Les Suisses de Google
Louis Perrochon est bernois, ingénieur,
responsable de la qualité des développements mais «les titres n'ont aucune
importance ici» précise-t-il. Ne parlons surtout pas de hiérarchie au
Googleplex. Entre deux pas
de danse, Louis a déjà goûté à sa minute de célébrité maison
lorsque son projet personnel est publié sur google.com. Son idée : tapez le
numéro d'un vol et le moteur de recherche vous renvoie l'itinéraire de
l'avion et son retard éventuel à l'aéroport.
Le bureau d'à côté est occupé par
Heike Schmitz. Cette informaticienne suisse diplômée de l'EPFZ est chef d'équipe.
Son obsession : rendre l'interface de Google la plus limpide possible aux yeux
des internautes. En avril 2001, la start-up californienne qui l'emploie est
victime du crash internet. Elle rejoint alors Google et ses 180 employés.
Après l'EPFZ et Stanford, Urs Hölzle
postule dans une start-up de six employés appelée Google. Cinq ans plus tard,
ce zurichois est membre du directoire et proclamé «Super Googleur», son
titre officiel. L'ancien vice-président de la recherche ne vient jamais au
bureau sans son chien Yoshka. (voir interview)
La bourse ou l'empire
Bill Gates est fâché. Fin 2003, Google
a refusé net son offre d'achat. Car la recherche sur internet, c'est sa
nouvelle priorité. Il l'a dit tout net au dernier Forum de Davos : «Google
nous a botté les fesses, mais on les aura». La dernière fois que Bill a piqué
une grosse colère, c'est quand il a réalisé que Microsoft avait raté le
train d'internet et qu'il a engagé sa croisade contre Netscape. De quoi avoir
quelques sueurs froides chez Google, d'autant plus que Microsoft pourrait intégrer
son moteur de recherche directement dans son système d'exploitation. Pourquoi
ouvrir Google si on peut tout faire depuis «Word» ?
Googlemusik d'avenir
Google a réussi l'impossible : perpétuer
les idéaux les plus farfelus de la bulle internet, rentabilité en plus,
grosse tête en moins. Ils n'ont pas cédé à Bill. Ils n'ont pas perdu la
boule quand on les arrosait de 25 millions de dollars de capital-risque pour
monter leur boîte en 1998, en plein boom internet. Ils sont devenus numéro un
par le bouche-à-oreille, sans dépenser un centime de publicité. Ils vont
secouer Wall Street en mettant leurs actions aux enchères. Google est un
extra-terrestre. D'ailleurs, ils recrutent pour la lune.
Carine Jaggi pour la TSR
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